À l’heure de l’aggravation du surendettement de tous les pays à faible revenu, les défis auxquels sont confrontés les pays en situation de fragilité et de conflit ne font qu’exacerber le phénomène. Au-delà de l’aggravation des risques liés à des bouleversements capables de faire basculer dans le surendettement des pays par ailleurs solvables, les pays en situation de fragilité et de conflit (FCS) ont aussi beaucoup plus de mal à assurer les besoins de dépenses essentielles nécessaires à leur stabilité et leur développement à long terme.

Ces pays sont en outre confrontés à toutes sortes de difficultés : dépenses considérables en matière d’infrastructures et de financement public de la reconstruction ; espace budgétaire limité par les dépenses de sécurité ou par l’incapacité à mobiliser des ressources dans des régions en dehors du contrôle de l’État ; déclin du développement du secteur privé dû à la montée des incertitudes et à la faiblesse de l’état de droit. Ce type de contexte appelle des mesures urgentes et robustes de gestion des finances publiques et de gestion de la dette publique dans les pays FCS.

Montée inquiétante du surendettement dans les pays bénéficiaires de l’IDA

Un article récent du blog de l’IEG portant sur l’évaluation précoce de la Politique de financement du développement durable de l’IDA - le fonds de la Banque mondiale pour les pays les plus pauvres - révélait des informations importantes concernant le risque pour les pays à faible revenu de basculer rapidement dans le surendettement. Tout d’abord, entre 2013 et 2021, le nombre de pays éligibles aux ressources de l’IDA qui, soit sont passés dans la catégorie de risque élevé de surendettement, soit ont basculé dans le surendettement a triplé, passant de 13 à 36 ; l’autre phénomène inquiétant étant la vitesse exceptionnelle à laquelle ces pays ont basculé dans le surendettement.

Parmi les pays ayant connu une détérioration de leur niveau de risque de surendettement, un tiers ont franchi deux niveaux (passant de faible à élevé ou de modéré à surendettement) sur une période inférieure à trois années. Des pays présentant un risque de surendettement apparemment faible peuvent subir des revirements de tendance étonnamment rapides.

Des risques exceptionnellement élevés en contexte de fragilité et de conflit

Les risques plus substantiels encourus par les pays FCS ne sont pas aussi clairement évalués. Ce qui distingue très clairement les pays éligibles aux ressources de l’IDA relevant de la catégorie « situations de fragilité et de conflit » des autres pays éligibles aux ressources de l’IDA est la vitesse à laquelle leur capacité de service de la dette peut varier.

Entre 2012 et 2020, environ un tiers des pays FCS ont subi une détérioration de leur risque de surendettement (ce chiffre apparemment faible masque le fait qu’au début de la décennie, un tiers des pays FCS avaient déjà un risque élevé de surendettement ou étaient en surendettement). Parmi les pays FCS dont le risque de surendettement a augmenté, les trois quarts ont connu une augmentation de risque d’au moins deux niveaux sur une période inférieure à trois ans. Le chiffre équivalent pour les pays non-FCS sur la même période n’était que de 20 % (voir Figure 1).

Figure 1 : Risques et vitesse de détérioration du risque de surendettement, pays éligibles aux ressources de l’IDA des catégories FCS et non-FCS (2012-2019)

Source : Calculs effectués en interne par l’IEG à partir de la base de données de notation des risques de surendettement du FMI/Banque mondiale (IMF/World Bank Debt Distress Risk). N.B. Une augmentation de 2 niveaux correspond à une augmentation de l’évaluation du risque de surendettement de faible à élevé ou de modéré à « surendettement. »

Pourquoi les pays fragiles ont-ils un risque aussi élevé de basculement dans le surendettement?

Le cadre de viabilité de la dette établi conjointement par la Banque mondiale et le FMI en 2017 présente différentes réformes visant à augmenter la fiabilité de l’évaluation des risques d’endettement. Même si cette étude n’abordait pas spécifiquement les différences entre les pays FCS et non-FCS, plusieurs facteurs affectant la capacité de remboursement de la dette pourraient expliquer le niveau significativement plus élevé du risque d’aggravation rapide du surendettement des pays FCS :

  • Tout d’abord, les pays FCS sont beaucoup plus susceptibles que les autres d’être exposés à des chocs de baisse de croissance qui détériorent leur ratio dette et service de la dette/PIB. Si la croissance des pays éligibles aux ressources de l'IDA, pris globalement, affiche une extrême volatilité, les baisses de croissance (détérioration de la croissance d’une année sur l’autre) sont significativement plus fréquentes chez les pays FCS.
  • En outre, l’amplitude de ces baisses du PIB, lorsqu’elles surviennent, est beaucoup plus forte chez les pays FCS. Au cours de la période 2011-2019, la baisse de croissance médiane des pays non-FCS était de 36 % (c.-à-d. que pendant les années de baisse de croissance, le taux de croissance de l’année de baisse était inférieur de 36 % à celui de l’année précédente). Pour les pays FCS, la baisse du taux de croissance médian par rapport à l’année précédente était supérieure à 100 %, ce qui signifie que pour les pays FCS, la plupart des baisses correspondent à une croissance zéro ou à des baisses réelles du PIB.
  • La capacité d’endettement et de service de la dette des pays FCS peut être fortement affectée par d’autres facteurs importants : fragilisation des institutions (pouvant favoriser une sous-estimation de la dette publique), réduction de la capacité de refinancement de la dette, risque accru de fuite des capitaux et aggravation des résultats budgétaires, ce qui limite d’autant la capacité de financement des prestations sociales de base.

La gestion des dépenses publiques dans les pays FCS est une priorité fondamentale

Face à l’augmentation des risques de bouleversements et des besoins en matière de dépenses essentielles, l’action de la Banque mondiale en faveur du renforcement de la viabilité de la dette des pays FCS doit s’attacher tout particulièrement à améliorer la gestion budgétaire.

Si la gestion rigoureuse des dépenses publiques est une question importante, quel que soit le pays, pour éviter tout gaspillage de ressources limitées, améliorer l’efficacité des dépenses publiques dans les pays FCS est une priorité absolue.

Au-delà des nécessaires dépenses anticycliques à des fins de stabilisation, les pays FCS doivent flécher leurs dépenses publiques vers des domaines essentiels pour éviter les pièges de fragilité. Ainsi, un récent article publié sur le blog du FMI s’interrogeant sur la manière « d’échapper à la fragilité » observe que les dépenses de santé et d’éducation des pays qui réussissent à sortir de la fragilité sont plus élevées que celles des pays qui n’y parviennent pas. Le maintien des dépenses sociales renforce l’inclusion et la stabilité sociales, deux atouts généralement essentiels dans la lutte contre les vecteurs de fragilité. Et lorsque les ressources sont rares, il est encore plus indispensable de veiller à l’efficacité des dépenses publiques.

La gestion de l’investissement public est un élément tout aussi important de l’équation, notamment dans les contextes de reconstruction après une crise politique ou un conflit. Étant donné la disparité de compétences des acteurs œuvrant à l’identification et à la conception d’investissements de qualité puis à la gestion de leur mise en œuvre, de nombreux investissements effectués dans des pays FCS n’ont pas du tout été à la hauteur des perspectives de croissance qu'ils avaient fait naitre. La note moyenne correspondant aux indicateurs de gestion des investissements publics PEFA des 24 pays FCS pour les données du cadre 2016 est D+, alors que les 37 pays non-FCS obtiennent la note C (Figure 2).

Figure 2: Capacité de gestion des investissements publics (PIM) dans les pays éligibles aux ressources de l’IDA des catégories FCS et non-FCS

N.B. Cet indicateur évalue l’estimation économique, la sélection, le calcul des coûts et le suivi des projets d’investissement publics effectués par l’État, en se concentrant sur les projets les plus étendus et les plus importants. La moyenne représentée en rouge comprend tous les pays bénéficiaires de l’IDA ayant intégré au moins une fois la catégorie FCS (de 2010 à aujourd'hui). Les données utilisées sont tirées du dernier rapport PEFA disponible, et la conversion numérique des notes PEFA a été réalisée à l’aide de la méthodologie de concordance du Secrétariat du PEFA.

Les pays FCS ont de grandes difficultés à faire face à leurs besoins de dépenses essentielles et à leur surexposition aux risques de bouleversements qui peuvent faire basculer dans le surendettement des pays par ailleurs stables. Particulièrement attentive aux problématiques de surendettement, la Banque mondiale doit donc étroitement surveiller les facteurs de risques disproportionnés auxquels sont confrontés les FCS ainsi que les systèmes de gestion des dépenses publiques et de gestion des investissements publics nécessaires pour une atténuation adéquate de certains de ces risques.

 

 

Photo: Shantana Shahid

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