Gros plan sur le financement à l’appui des politiques de développement dans les États fragiles
Réévaluer la réalité du « bien » dans les situations volatiles et incertaines pour favoriser une prise de risque plus éclairée.
Réévaluer la réalité du « bien » dans les situations volatiles et incertaines pour favoriser une prise de risque plus éclairée.
By:Le Financement à l’appui des politiques de développement (DPF) de la Banque mondiale consiste à apporter une aide budgétaire à des États qui s’engagent en contrepartie à adopter des réformes spécifiques (appelées « mesures préalables »). La Banque mondiale privilégie de plus en plus le DPF comme instrument de soutien aux pays confrontés à des situations de fragilité, de conflit et de violence (FCV). Si le nombre d’opérations de DPF dans des situations de FCV s’est établi en moyenne aux alentours de 10 par an au cours de la dernière décennie, le volume moyen des engagements a triplé, passant de 43 millions de dollars US pour les années fiscales 2010 à 2015 à 127 millions de dollars pour les années fiscales 2016 à 2022 (Figure 1).
Cette augmentation rapide des montants des engagements DPF correspond dans une large mesure à un petit nombre d’opérations de très grande envergure, certaines pouvant dépasser 1 milliard de dollars. Le DPF en contexte FCV accordé aux cinq pays bénéficiaires les plus importants (Irak, Soudan, Côte d’Ivoire, Afghanistan et Niger, parmi lesquels seule la Côte d’Ivoire ne figure plus sur la liste des situations de fragilité et de conflit de la Banque mondiale pour l’année fiscale 2022) s’élevait à 6,6 milliards de dollars US au cours de cette période, soit un peu plus de la moitié de l’aide budgétaire totale que la Banque mondiale accorde aux pays en situation de fragilité. Rappelons toutefois que 35 des 53 pays figurant sur la liste FCV de la Banque mondiale ont bénéficié d’au moins une opération à l'appui des politiques de développement (DPO) au cours de la dernière décennie.
Figure 1. Financement à l’appui des politiques de développement (DPF) de la Banque mondiale dans les situations de fragilité et de conflit
Dans la plupart des cas, les DPO en contexte FCV ont obtenu des notes de résultats plus élevées que les DPO de la dernière décennie (Figure 2, côté gauche). Si les trois quarts des DPO (en contexte FCV et en contexte plus général) ont obtenu au minimum la note Modérément satisfaisant (MS+) pour les Résultats en matière de développement, les DPO en contexte FCV ont reçu la note Satisfaisant près de deux fois plus souvent. Dans le même temps, la note de résultats dominante pour les DPO de façon plus générale était Modérément satisfaisant. Ce constat encourageant montre l’efficacité du DPF en contexte FCV de la Banque mondiale. L’amélioration des résultats n’est-elle pas, au final, le meilleur des résultats ?
Figure 2 : Notes de résultats et de Performance de la Banque : Évaluation de l’ensemble des DPO par rapport aux DPO en contexte FCV
Si les notes de Résultats mesurent les progrès réalisés pour atteindre les objectifs d’indicateur de résultats grâce aux politiques soutenues par la DPO, certains facteurs ou chocs exogènes peuvent profondément affecter les résultats. Cela montre que les objectifs non tenus ne sont pas nécessairement dus à une conception ou une exécution défaillante des opérations.
Les notes sont des critères permettant d’évaluer la performance relativement aux objectifs d’un projet ou d’un programme. Dans le cas des Opérations à l'appui des politiques de développement, les notes de « résultat » ont une double dimension : pertinence (des mesures préalables) et efficacité (réalisation des objectifs). L’IEG note également la pertinence des indicateurs de résultats et la Performance de la Banque. |
C’est une des raisons qui ont poussé la Banque mondiale et l’IEG à noter également la Performance de la Banque. Ces notes ont pour but d’évaluer les éléments de conception et de mise en œuvre des DPO qui sont en grande partie du ressort de la Banque mondiale. Historiquement, les évaluations de Performance de la Banque s’appuient sur différents critères : la « Qualité à l’entrée » (qui mesure la qualité de conception de la DPO), la qualité de la surveillance et de l’évaluation et la qualité de supervision (notons que ces critères ont été modifiés en 2020 – voir ci-dessous). La Figure 2 (partie droite) compare les notes de Performance de la Banque pour les DPO en contexte FCV et les DPO en contexte non-FCV. Elle révèle que les DPO sont moins performantes en contexte FCV qu’en contexte non-FCV : la Performance de la Banque obtient au mieux la note Modérément insatisfaisant dans 38 % des opérations en contexte FCV contre 19 % pour l’ensemble des DPO. On notera que la répartition de la Performance de la Banque pour les DPO en contexte FCV est plus polarisée que pour l’ensemble des DPO : environ la moitié des DPO en contexte FCV ont reçu la note Satisfaisant contre environ un quart pour l’ensemble des DPO.
Avant de tirer toute conclusion quant à la performance des DPO en contexte FCV par rapport aux contextes non-FCV, il est intéressant d’observer la performance dans le temps sur la dernière décennie. Les Figures 3 et 4 comparent les notes Résultat et Performance de la Banque entre la première et seconde moitié de la décennie. Pour l’ensemble des DPO, la notation de résultats MS+ a légèrement progressé entre les deux périodes (passant de 75 % à 80 % des opérations). À l’inverse, cette notation a fortement reculé pour les DPO en contexte FCV (passant d’à peine 73 % à 55 %), ce qui contredit la constatation précédente d’une meilleure performance des DPO en contexte FCV qu’en contexte non-FCV.
Figure 3 : Comparaison de l’ensemble des notes des opérations à l'appui des politiques de développement entre les exercices 2010 à 2015 et 2016 à 2020
Figure 4 : Comparaison des notes des opérations à l'appui des politiques de développement en contexte FCV entre les exercices 2010 à 2015 et 2016 à 2020
On constate la même tendance pour les notes de Performance de la Banque : la part de la note MS+ de Performance de la Banque pour l’ensemble des DPO a augmenté, passant de 73 % à 83 %, tandis qu’elle a diminué pour les DPO en contexte FCV, passant de 88 % à 78 %. La question de savoir si ce phénomène est lié à des situations de FCV plus complexes ou difficiles dans la seconde partie de la décennie ou à une dégradation dans la conception ou la mise en œuvre des programmes dépasse le cadre de ce blog. La nature des réformes soutenues par le DPF en contexte FCV (telles qu’évaluées par les mesures préalables) pourrait apporter un début de réponse. Alors que la plupart des mesures préalables des DPO en contexte FCV se concentraient sur des réformes au niveau de l’État, leur part était de 14 % inférieure dans la seconde moitié de la décennie par rapport à la première. Mais il conviendrait d’effectuer une évaluation plus granulaire des mesures préalables avant d’accorder à cette évolution une importance excessive.
Repenser la réalité du succès en contextes de fragilité
Mais l’explication est peut-être ailleurs. Ces deux dernières années, la Banque mondiale et l’IEG ont modifié leur évaluation de la Performance de la Banque dans le cadre des DPO afin de mieux rendre compte des différences avec les projets d’investissement plus traditionnels. Reconnaissant que la conception et la mise en œuvre des DPO est autant un art qu’une science, la Banque mondiale et l’IEG ont mis à l’essai une nouvelle approche prenant plus directement en compte une série de facteurs de succès dont l’expérience a montré l’importance. Il s’agit notamment de l’adéquation des fondements analytiques qui orientent le choix des réformes à soutenir (et des mesures préalables qui s’y rattachent), la qualité de l’évaluation ex ante des risques que l’opération ne réalise pas ses objectifs de développement, l’ampleur des mesures d’atténuation planifiées en vue de réduire ces risques, ainsi que des preuves concrètes des enseignements tirés de l’expérience en matière de conception de programmes.
Plus récemment, en réponse à une demande des représentants de l’IDA, les représentants des plus de 50 États donateurs qui se réunissent tous les trois ans pour reconstituer les ressources et réviser le cadre des politiques du fonds du Groupe de la Banque mondiale destiné aux pays les plus pauvres, une orientation supplémentaire a été adoptée en vue d’évaluer la Performance de la Banque pour les DPO en contexte FCV. Cette initiative visait à établir une reconnaissance plus explicite de la volatilité et des incertitudes inhérentes aux situations de fragilité ainsi que des effets négatifs très fréquents de certains facteurs exogènes ou imprévus sur les résultats. Ainsi, les changements initiés à titre d’essai afin d’évaluer la Performance de la Banque introduits en 2020, considérés comme particulièrement bien adaptés en contexte FCV, ont été formalisés. L’accent a également été mis sur des questions telles que l’anticipation d’éventuels effets négatifs des projets sur les facteurs de fragilité et de conflits, le renforcement des institutions, ainsi que l’élargissement de la coordination et de la consultation à un plus grand nombre de partenaires du développement, y compris des agences des Nations Unies et des acteurs du secteur de la diplomatie et de la sécurité.
À ce jour, l’IEG a évalué 10 DPO en contexte FCV en appliquant le nouveau cadre. La Performance de la Banque a reçu une note minimale de Modérément satisfaisant dans tous ces cas. Ce résultat encourageant confirme que la Banque mondiale développe sa capacité à s’impliquer et à gérer la dimension politique de l’aide au développement dans les situations complexes. Il souligne également la nécessité d’une approche plus nuancée de la réalité du « bien » dans des situations volatiles et incertaines, dans lesquelles ce n’est pas l’évitement du risque, mais bien une prise de risque éclairée, qui favorise la réussite.
Pour plus d’informations sur les notes du Groupe de la Banque mondiale, rendez-vous sur la page de données de l’IEG.
Jeff Chelsky est Directeur en charge de l’Unité de gestion économique et des programmes nationaux (Economic Management and Country Programs Unit) de l’IEG.
Mees van der Werf est économiste à l'IEG (Groupe indépendant d’évaluation). Outre la macroéconomie, il travaille principalement sur les conflits, le genre et la gestion des ressources environnementales. Avant de rejoindre la Banque mondiale, Mees a travaillé pour le PNUD et pour une ONG locale en Inde sur le genre et la gestion communautaire des conflits. Il est titulaire d'une maîtrise en économie et gestion des conflits de la School of Advanced International Studies de l'Université Johns Hopkins.
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